La photographie ?
Je suis venu à la photo sur le tard, après 30 années dévolues à l’industrie du cinéma de long-métrage.
Les tournages m'ont largement traîné sur les sentiers du monde. Pendant plus d'une quinzaine d'années j'ai pu voyager sur les deux hémisphères, m’installant souvent pour des périodes longues dans des régions étrangères, et y travaillant avec ses habitants. Cette immersion m'a permis d'entrevoir des aspects qu’un voyage trop court ne révèle jamais. Travailler, manger, conduire ou sortir sont d'innombrables raisons de rencontrer l'Autre et autant de fenêtres sur une culture méconnue : elles permettent une compréhension de l’intérieur.
À chacun de ces séjours j'ai cheminé l'appareil à la main, capturant impressions, visages et paysages… de cette longue marche sont nées ces itinérances photographiques, mi-itinéraire rigoureux guidé par une idée fixe et précise, mi-errance confiée aux bonheurs des rencontres et aux cahots de l’improvisation. Quelquefois, à la fin de ces séjours, des tournages, à chaque fois en fait depuis une quinzaine d'années, et devant la certitude d'avoir peu de chances de retrouver à nouveau les hommes et les femmes que j'avais côtoyé pendant de longs mois, j'ai provoqué une séance de prise de vues, dans un lieu de notre aventure. Afin de les graver dans ma mémoire, de leur dire adieu… Ça a été ma façon de les garder contre moi…
Avec les années, ces clichés, impressions, visages et paysages ont commencé à esquisser une carte, une grande image du monde, tel que j'ai eu la chance de le voir, tel que je l’aime, mappemonde graphique et morphologique…
Par contraste avec le travail cinématographique, la photographie m'a offert une liberté incomparable. La fabrication d'un film passe par un travail orchestral et implique la gestion de l'orchestre : il faut se soucier d'assortir les compétences, celle des techniciens comme celle des comédiens, gérer des emplois du temps complexes et souvent contradictoires, susciter et entretenir le désir pour que chaque intervenant offre au film la plus belle part de son talent… La photographie de son côté permet une autonomie totale, offre liberté et souplesse. On ne dépend (presque) que de soi-même, les mises en œuvre technique sont rapides, la richesse humaine est immédiatement accessibles…
Tout en consacrant une part de plus en plus importante de mon temps à la photographie, je me sens encore cinéaste. Je me suis cependant éloigné des plateaux de tournage pour me tourner vers le scénario. Ainsi, à travers la photo comme à travers les mots, je sonde quotidiennement un mystère encore entier malgré les années : où et comment naissent les histoires qui font de bons films, engendrent de bonnes photos ?
Comment naissent les grandes idées, celles qui bouleversent l'imagination ?
En d'autres termes, où nait le désir…
Christophe Cheysson